Poularde Derby. — Farcir la poularde avec 200 grammes de riz additionné de 100 grammes de foie gras et 100 grammes de truffes coupés en gros dés. Préparer ce Soufflé comme celui « à la Florentine », en ajoutant une petite cuillerée de pointes d’asperges fraîchement cuites et non rafraîchies, aux lames de truffes surgelées et queues d’écrevisses mises entre les couches d’appareil à Soufflé. Vient ensuite le canifage, étape primordiale qui vise à permettre aux experts de jauger le niveau de maturité de la tuber. Mais brusquement cette souffrance tombe à peu de chose en pensant à l’inconnu malfaisant de sa vie, aux lieux impossibles à connaître où elle a été, est peut-être encore, dans les heures où nous ne sommes pas près d’elle, si même elle ne projette pas d’y vivre définitivement, ces lieux où elle est loin de nous, pas à nous, plus heureuse qu’avec nous. » Il faut trois livres pesant de Pommes de terre pour équivaloir à une livre de Froment ; par conséquent, 5,112 livres de ces racines font l’effet de 1,714 livres de Froment : poids que, dans la supputation présente, nous regarderons comme égal à celui de 1,680 que donnent 7 setiers de Froment ; la différence de 1,714 à 1680 est trop petite pour mériter d’être marquée.
C’est que, dans ces moments brefs, mais inévitables, où l’on déteste quelqu’un qu’on aime — ces moments qui durent parfois toute la vie avec les gens qu’on n’aime pas — on ne veut pas paraître bon pour ne pas être plaint, mais à la fois le plus méchant et le plus heureux possible pour que votre bonheur soit vraiment haïssable et ulcère l’âme de l’ennemi occasionnel ou durable. D’ailleurs, c’était sans doute par la même jalousie qu’elle avait eue jadis envers Eulalie que Françoise parlait guide ultime des truffes choses les plus invraisemblables, tellement vagues qu’on pouvait tout au plus y supposer l’insinuation, bien invraisemblable, que la pauvre captive (qui aimait les femmes) préférait un mariage avec quelqu’un qui ne semblait pas tout à fait être moi. Car, alors, on serait si heureux de ne dire que les choses qui peuvent rendre heureux les autres, les attendrir, vous en faire aimer ! Au vrai, comme ces plantes qui se dédoublent en poussant, en regard de l’enfant sensitif que j’avais uniquement été, lui faisait face maintenant un homme opposé, plein de bon sens, de sévérité pour la sensibilité maladive des autres, un homme ressemblant à ce que mes parents avaient été pour moi. Son visage reflétait une déception, et j’employais à blâmer mon amie les mêmes raisons qui m’avaient été si souvent opposées par mes parents, quand j’étais petit, et qui avaient paru inintelligentes et cruelles à mon enfance incomprise.
Ce qui m’occupait l’esprit n’était pas ce qu’elle avait pu dire d’intelligent, mais tel mot qui éveillait chez moi un doute sur ses actes ; j’essayais de me rappeler si elle avait dit ceci ou cela, de quel air, à quel moment, en réponse à quelle parole, de reconstituer toute la scène de son dialogue avec moi, à quel moment elle avait voulu aller chez les Verdurin, quel mot de moi avait donné à son visage l’air fâché. Et nous regardions avec envie, Albertine et moi, au moment où il sautait à terre, le promeneur qui était allé ainsi goûter au large, dans ces horizons solitaires, le calme et la limpidité du soir. Ne cachait-il pas, au fond, d’incessants et secrets orages, ce calme au besoin semé de réflexions sentencieuses, d’ironie pour les manifestations maladroites de la sensibilité, et qui était le sien, mais que moi aussi, maintenant, j’affectais vis-à-vis de tout le monde et dont surtout je ne me départais pas dans certaines circonstances vis-à-vis d’Albertine ? Il faut donc dans ce qui précede & ce qui suit, instituer la comparaison entre un animal, un végétal, & un minéral bien décidé, si l’on ne veut s’exposer à tourner à l’infini dans un labyrinthe dont on ne sortiroit jamais.
Quand elle fut sortie de la chambre non sans s’être attardée à emporter divers objets qui y étaient depuis la veille et eussent pu y rester, sans gêner le moins du monde, une heure de plus, et pour remettre dans le feu une bûche bien inutile par la chaleur brûlante que me donnaient la présence de l’intruse et la peur de me voir « couper » par la demoiselle : « Pardonnez-moi, dis-je à Andrée, j’ai été dérangé. Même nous aurions bien peur de recommencer à aimer si l’absence se produisait de nouveau. » On donne sa fortune, sa vie pour un être, et pourtant cet être, on sait bien qu’à dix ans d’intervalle, plus tôt ou plus tard, on lui refuserait cette fortune, on préférerait garder sa vie. N’avais-je pas deviné en Albertine une de ces filles sous l’enveloppe charnelle desquelles palpitent plus d’êtres cachés, je ne dis pas que dans un jeu de cartes encore dans sa boîte, que dans une cathédrale ou un théâtre avant qu’on n’y entre, mais que dans la foule immense et renouvelée ? Ce qui me réenchaîna à ma liaison tint à la Normandie, non qu’elle manifestât quelque intention d’aller dans ce pays où j’avais été jaloux d’elle (car j’avais cette chance que jamais ses projets ne touchaient aux points douloureux de mon souvenir), mais parce qu’ayant dit : « C’est comme si je vous parlais de l’amie de votre tante qui habitait Infreville », elle répondit avec colère, heureuse comme toute personne qui discute et qui veut avoir pour soi le plus d’arguments possible, de me montrer que j’étais dans le faux et elle dans le vrai : « Mais jamais ma tante n’a connu personne à Infreville, et moi-même je n’y suis jamais allée.